Entretien publié dans L’Opinion le 1er septembre 2015.
Propos recueillis par Irène Inchauspé.
« L’Éducation nationale souffre d’une “réformite” contre-productive. La “réforme des réformes”, ce serait de ne plus en faire pendant un certain temps »
Historien et philosophe, Marcel Gauchet regrette la pauvreté des débats sur l’éducation et affirme que l’on a tort de demander à l’école tout ce que la société est incapable de faire. Une utopie dangereuse.
La rentrée scolaire s’accompagne d’un flot de critiques acerbes sur la réforme du collège. Que pensez-vous de ces débats ?
L’hystérisation du débat public n’est pas un problème propre à la France, mais chez nous, elle est particulièrement vive dans le domaine de l’éducation, en raison du rôle central de l’école dans notre système républicain. Si cette question est particulièrement brûlante, c’est aussi parce qu’elle se pose dans un monde où les gouvernements ont l’impression qu’ils n’ont plus de leviers de changement à leur disposition. Le dernier lieu où l’on pense pouvoir agir, c’est l’école. Si les générations futures sont mieux formées, si par exemple on leur a ôté de la tête des stéréotypes sexués, elles créeront un monde meilleur ! C’est le règne d’une utopie : celle de la transformation de la société par l’école. Or, il n’existe pas de magie scolaire. Nous demandons à tort à l’école de faire tout ce que nous sommes incapables de faire par ailleurs. Elle n’est que le reflet de la société et ne peut fonctionner à rebours de ce qui s’y passe.
Comment jugez-vous ces réformes sur le fond ?
L’erreur fondamentale a été de revenir une fois de plus à cette question du collège qui défraie la chronique depuis des années, en fait depuis la création du collège unique. Vincent Peillon avait pourtant fait le bon diagnostic : l’important, c’est ce qui se passe avant. C’était vraiment une erreur de se sentir obligé de rouvrir ce dossier avant de régler les questions qui se posent au primaire, notamment celle de l’apprentissage des fondamentaux. L’Éducation nationale souffre d’une « réformite » qui finit par être contre-productive, si bien que la « réforme des réformes », ce serait de ne plus en faire pendant un certain temps pour retrouver un peu ses esprits. Les mesures envisagées sont bricolées, ponctuelles, résultent de compromis chaotiques avec les syndicats d’enseignants, les associations de parents d’élèves et les normes internationales. Au final ne restent que désorientation et désorganisation. Il n’y a plus de direction visible ni de philosophie claire à laquelle les enseignants comme les parents pourraient se référer.