L’autorité, condition de l’éducation

Mercredi 30 septembre 2009, Marcel Gauchet a inauguré le cycle de conférences « Mercredis de Créteil » proposé par l’Académie de Créteil avec un thème qui concerne tous les enseignants : «L’autorité, condition de l’éducation».

L’autorité de l’institution scolaire est prise entre deux feux. D’une part, l’espèce d’appel lancinant au retour de l’autorité et, de l’autre côté, une analyse en termes de fin de l’autorité (Alain Renaut) qui nous explique que dans un univers démocratique elle est une catégorie obsolète sur laquelle il n’y a plus lieu de discuter. C’est précisément cette aporie qu’il faut dépasser.

Y a-t-il véritablement une fin de l’autorité ? Pour Marcel Gauchet, nous assistons à la fin d’un certains âge de l’autorité. Nous en avons fini avec l’autoritarisme mais nous ne faisons que commencer avec la question de l’autorité. Mais s’il n’y a pas fin de l’autorité mais métamorphose profonde des modalités dans lesquelles s’exerce ladite autorité (dont il faut en plus éclairer la raison d’être dans le cadre scolaire), à quelles conditions cette autorité peut-elle jouer dans l’aspect institutionnel qui est celui de l’éducation ?

Bibliographie

Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Pour une philosophie politique de l’éducation, Bayard, Paris, 2002.

Marcel Gauchet, La condition historique, Stock, Paris, 2003.

Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Conditions de l’éducation, Bayard, Paris, 2008.

Marcel Gauchet, DOMINIQUE OTTAVI, MARIE-CLAUDE BLAIS,
Conditions de l’éducation , p. 89 :

« Il s’est produit, à cet égard, une inversion capitale, qui pourrait être l’un des événements fondamentaux de notre vie culturelle récente. D’une expérience millénaire, le corps était tenu pour le lieu de la souffrance et du malheur intimes. En regard, l’esprit faisait figure de moyen de s’élever au-dessus de notre propre misère ; il proposait notre seule voie d’accès aux vrais plaisirs, ceux qui durent et dont on est maître ; il s’offrait comme l’instrument de notre bonheur en ce monde et de notre éventuelle félicité dans l’autre. Or nous voici devenus, par la grâce de la médecine, de l’hygiène et de l’abondance, les premiers dans l’histoire pour lesquels le corps est le siège d’un bien-être habituel, sans parler des jouissances promises par une culture hédoniste et permissive (…) [Ainsi] Que faire de savoirs qui « prennent la tête », dans un monde où l’aspiration primordiale est à être « bien dans sa peau » ?

(…) Cette métamorphose des conditions de l’éducation nous jette, en réalité, au milieu d’un champ de contradictions sourdes, dont il s’agit de dresser la carte et de prendre la mesure.

(…) Nous n’avons pas affaire à un problème pédagogique qui pourrait être réglé par l’ajustement des méthodes, ni même à un problème simplement scolaire ou éducatif. Il se pose dans l’école, mais il déborde infiniment son cadre. Il ne procède de rien d’autre, en dernier ressort, que de l’approfondissement de l’orientation moderne. »

Marcel Gauchet, DOMINIQUE OTTAVI, MARIE-CLAUDE BLAIS,
Conditions de l’éducation , p. 160-161 :

« Il fallait en passer par cette mise en perspective générale pour prendre une juste mesure de la façon dont le problème se pose dans le champs éducatif. Car sur ce chapitre comme sur d’autres, l’école est prise dans un maelström civilisationnel qui la dépasse et auquel il est vain de vouloir apporter des réponses purement pédagogiques. Ce n’est qu’en replaçant le problème dans le cadre qui le commande qu’il devient possible d’avoir prise sur lui.

Une ère de l’autorité s’achève, une autre commence. Une mise en forme archi-millénaire de la soumission à plus haut que soi et de commandement au nom de plus haut que soi achève d’expirer et de se dissoudre sous nos yeux. Une autre mise en forme se cherche, dans les rapports sociaux, de ce qui n’en continue pas moins de précéder et dépasser les individus. L’autorité n’est aucunement destinée à disparaître ; elle est un rouage constitutif du mécanisme social ; elle est inhérente à l’articulation de l’être-soi et de l’être-ensemble, dont elle représente l’une des modalités fondamentales. Il s’agit seulement de lui trouver des manières de se présenter et de s’exercer compatibles avec notre sentiment renouvelé de l’égalité et de l’indépendance des êtres. Elle devrait même avoir un bel avenir, en bonne logique, fondée qu’elle est sur la reconnaissance et le consentement. Une démocratie digne de ce nom ne se devrait-elle pas, en effet, de fonctionner de préférence à l’autorité, plutôt qu’à la puissance, dont les moyens ne peuvent que lui répugner, et au pouvoir, indispensable, mais dont le formalisme juridique se prête à tous les détournements que l’on sait ? »

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