(Source : L’Est Républicain)
L’historien et philosophe Marcel Gauchet, qui donnait une conférence à Nancy, appelle à « une remise à plat » de l’université .
Où va l’université ? Elle ne le sait pas elle-même, répond en substance Marcel Gauchet. Historien, philosophe, rédacteur en chef de la revue « Le Débat », directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, il ne s’inscrit surtout pas dans la lignée des intellectuels de salon se lovant dans un confort conceptuel bardé de certitudes. Les concepts sont pour lui des outils destinés à triturer les mécanismes à l’apparence trop bien huilée pour mettre en lumière les dysfonctionnements cachés de la machinerie, les intentions non avouées de certaines réformes comme… la réforme des universités, la fameuse LRU. Dont il ne s’est pas privé de dire tout le mal qu’il en pensait, lui qui place l’enjeu éducatif au cœur de la société, lors d’une conférence donnée jeudi à Nancy, à l’invitation de l’Isam-IAE.
Un intervenant qui peut paraître iconoclaste au sein d’une école de gestion qui avait pris soin d’étendre les invitations à l’ensemble de Nancy 2. Mais justement parce que les sciences de gestion ne veulent pas être réduites à la caricature du cost-killer costume trois-pièces, et qu’elles s’inscrivent de surcroît dans un cursus universitaire, Marcel Gauchet a fait un tabac devant un parterre de 250 auditeurs, profs et étudiants.
Deux exigences
« Peut-être fallait-il une réforme, les ambitions étaient aussi peut-être bonnes et en tout cas largement insuffisantes, la méthode a été très mauvaise, un calendrier précipité, une philosophie sous-jacente qui consiste à faire sans le dire, la LRU, c’est en fait un cadre à l’intérieur duquel émergent les universités du haut du tableau, principalement scientifiques, pour les faire sortir du pot commun, des regroupements ont été conduits dans des conditions opaques », analyse Marcel Gauchet, qui a rejoint le collectif « Refonder l’université ».
Si le chercheur ne conteste pas que « l’université, productrice de connaissances est confrontée à un marché mondial », cette contrainte n’empêche nullement à ses yeux de réfléchir à « ce que veut l’université ». Marcel Gauchet s’intéresse à « cette tension entre deux phénomènes que sont la massification, qui répond à une demande sociale, et l’excellence, les deux forment un arc électrique qui exige qu’on y prête attention, ça ne marche pas tout seul. Il faut à la fois une prise de conscience collective de ce qu’on veut et la nécessité de répondre à ces deux exigences ».
« Le marché noir des formations »
Pour Marcel Gauchet, il n’y a pas « d’antagonisme entre formation professionnelle et formation d’une tête bien faite », une façon de clore, espère-t-il, le débat qui continue d’agiter l’université entre les tenants par exemple d’un développement des licences professionnelles et des tenants d’une transmission traditionnelle du savoir. Le problème tient à « l’université qui réfléchit sur tout sauf sur elle-même ».
L’auteur du « Désenchantement du monde » ne désespère pas pour autant. Il appelle à « une remise à plat » de l’université et plus largement de l’éducation, à « plus de transparence », il dénonce « le marché noir des formations » qui profite aux « seuls initiés du haut ». « Un gâchis phénoménal ».
par Philippe RIVET