Point de vue publié dans Le Monde du 19 janvier 2012 par Alain Caillié, sociologue et directeur de la « Revue du Mauss » et Marcel Gauchet, historien et rédacteur en chef de la revue « Le Débat ».
Comme l’affirme modestement le président Sarkozy, dans son discours du 26 septembre 2011, la loi libertés et responsabilités des universités (LRU), « l’une des réformes et réussites majeures de (son) quinquennat, c’est l’université et la recherche ».
Après avoir donné aux universités un plan réussite en licence (PRL) qui prévoyait l’injection dans le premier cycle de moyens financiers pour, en effet, permettre au plus grand nombre d’obtenir leur licence, le ministère a décidé d’y mettre un terme sans prendre le risque de se fâcher avec l’UNEF, et a trouvé un moyen simple de ne pas afficher en fin de mandat un résultat trop mauvais à l’électorat français, si chatouilleux parfois : « Ne surélevez pas le pont, faites baisser la rivière ! »
De ce point de vue, l’article 16 de cet arrêté, qui modifie les modalités de contrôle des connaissances en licence dès cette rentrée est exemplaire. Les universités sont tenues de se mettre en conformité avec ces nouvelles dispositions en bouleversant au besoin l’architecture des diplômes, alors même que les brochures explicatives à destination des étudiants ont été imprimées et que les cours ont déjà repris.
De quoi s’agit-il ? Rien de moins que d’imposer aux universités des dispositifs qui permettent aux étudiants de compenser à l’intérieur d’un semestre et d’un semestre à l’autre n’importe quel enseignement fondamental de leur cursus (par exemple la philosophie pour un étudiant en philosophie) avec des « modules d’ouverture » de tous ordres (sport, engagement associatif, rédaction de CV, etc.).
Le nouveau management public prouve une fois encore son sens de l’effort inutile. Avec des moyens en baisse, les universités auront de la peine à satisfaire à cette nouvelle exigence, qui ne tient nul compte du fait que les étudiants ont souvent une activité salariée (ce qui n’est pas le cas des classes préparatoires)… Les syndicats étudiants l’auraient-ils oublié ? Si la démocratisation de l’université a pour objectif d’offrir aux bacheliers, quelle que soit leur origine, un accès à des formations de bon niveau et à des diplômes valorisants, cette énième réforme contribue à creuser les inégalités et élargir le boulevard pour toutes les filières sélectives que les étudiants les plus avertis et les mieux armés plébiscitent au détriment déjà des filières universitaires.
Le ministère trompe ainsi les syndicats étudiants en leur laissant croire qu’ils ont remporté une victoire historique. Ne serait-il pas temps de comprendre que les universités ne sont pas « responsables » du taux d’échec dans leur premier cycle ? Qu’on ne peut leur demander tout à la fois d’accueillir tout le public refusé ailleurs et de diplômer celui-ci ? La population étudiante issue de baccalauréats professionnels, dont le taux d’échec en premier cycle universitaire avoisine les 90 %, ne cesse d’augmenter.
Faut-il rappeler que ces baccalauréats n’ont pas été conçus pour la poursuite d’études supérieures longues et qu’il est donc insensé, au sens premier du terme, de reprocher à l’université de ne pas parvenir à diplômer tous ses lauréats ? La sélection, absente à l’entrée de l’université, se réalise dans le cours des cursus, et l’injustice se trouve bien en amont des seules procédures d’examen. Si l’on veut réduire le taux d’échec universitaire, il faut repenser l’ensemble de l’enseignement supérieur et notamment son premier cycle, et cesser de le dévaloriser aux yeux de nos étudiants et des personnels. Sous prétexte que les diplômes sont et doivent rester nationaux, le ministère continue de définir leurs modalités d’accès avec une ingérence sans équivalent dans les pays auxquels on s’ingénie à comparer sans cesse l’université française.
Il réduit comme peau de chagrin la liberté pédagogique des enseignants du supérieur et des universités, jugés incapables de déterminer les modalités d’évaluation de leurs étudiants. Où est l' »autonomie » des universités ? Les signataires sont persuadés que la majorité des étudiants sont attachés à ce que leur diplôme sanctionne non pas des stratégies d’aubaine, mais des connaissances reconnues, acquises à travers un effort soutenu et régulier, condition même de leur intégration socioprofessionnelle. Ils sont aussi persuadés que la création de ces nouveaux « assignats » universitaires constitue un nouveau coup frappé à l’encontre des universités, et destiné à renforcer, si besoin était, l’inégalité entre le secteur sélectif de l’enseignement supérieur et les universités.
Enfin, ils sont aussi persuadés que si l’autonomie des universités a un sens, les établissements doivent garder en toute logique la liberté de déterminer les modalités d’évaluation de leurs étudiants sous le contrôle de leurs instances régulièrement élues et dans le cadre des diplômes nationaux. Le terme « autonomie » ne figure pas dans la loi LRU, sauf à l’article 28 concernant le financement des nouvelles fondations de coopérations scientifiques. Trompe-l’oeil ou acte manqué révélateur de la véritable nature de cette politique universitaire ?