Dans le numéro 20 des Cahiers du Centre de Recherches Historiques consacré aux « Miroirs de la Raison d’Etat », Marcel Gauchet avait publié en avril 1998 un article intitulé « État, monarchie, public ».
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« Voilà ce que la raison d’État a l’exceptionnel intérêt de faire apparaître. Elle donne à lire les tenants et les aboutissants religieux d’un événement par ailleurs bien connu, mais mal compris, aisément réductible, qu’il est à une dimension instrumentale ou fonctionnelle : la clôture des guerres de religion, en France, dans et par l’« État ». Pour opérer une telle pacification, il faut une autorité pourvue d’une légitimité comme on n’en avait jusqu’alors jamais connu, que ce soit dans ses liens avec le ciel, ses rapports avec ses assujettis ou la norme de ses entreprises. Il faut une autorité « de droit divin », directement autorisée de Dieu, hors de quelque canal médiateur que ce soit ; il faut une autorité « souveraine », en position de supériorité « absolue » vis-à-vis de quelque membre du corps politique que ce soit ; il faut une autorité ancrée dans un « État », matérialisant la permanence du royaume et l’autosuffisance des raisons de la communauté terrestre. Une autorité transgressant de partout, par sa physionomie, par ses prétentions, par son mode d’action, non seulement les modèles de la politique chrétienne, mais beaucoup plus profondément encore l’ensemble des repères reçus de la politique, l’articulation entre l’ici-bas et l’au-delà qu’il lui revient d’assurer, l’image de la communauté des hommes qu’elle présuppose, la figure du pouvoir sur laquelle elle s’appuie. C’est cette subversion sourdement entraînée par la prime cristallisation de « l’absolutisme » (et la cristallisation de la conceptualité politique moderne qui l’accompagne) que la littérature de la raison d’État nous permet d’apercevoir. Dans leur application à conjurer le maléfice de cette politique émergente, dont les « politiques » français représentent la pointe avancée, de par la situation qui est la leur, les théoriciens de la bonne raison d’État nous livrent les proportions de la révolution religieuse et métaphysique de la politique qui se joue dans les parages de 1600. Une révolution de portée comparable à la révolution scientifique du mécanisme qui chemine parallèlement à elle – elle manifeste comme elle les incidences de l’éloignement de Dieu vis-à-vis de l’univers habité par les hommes. Elle n’est vraiment discernable, dans ce moment initial, que depuis le contre-discours qui lui est opposé. Je ne vois pas d’autre observatoire à partir duquel il serait possible de l’appréhender dans toutes ses dimensions. »