C’est ce mardi 23 avril qu’aura lieu le vote définitif de la loi sur le mariage pour tous. La tension va croissante ; les nombreux militants du Collectif « la Manif pour tous » ne désarment pas, multipliant rassemblements improvisés et coups d’éclat, plus que jamais déterminés à se faire entendre. Ils dénoncent le mépris du gouvernement, les provocations policières et les amalgames systématiques dont ils font l’objet : autant de méthodes qui confinent, selon eux, à un véritable « déni de démocratie ». Lors de l’ouverture de l’assemblée plénière des évêques de France, le cardinal Vingt-Trois s’était inquiété que le climat politique actuel débouche sur la violence. Un climat où se radicalisent les positions. Le discours semble se radicaliser, de part et d’autre ; la violence du débat, sur les réseaux sociaux, dans la rue, et même dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale surprend et interpelle.
Analyse de Marcel Gauchet, historien, directeur d’études à l’EHESS, et rédacteur en chef de la revue le Débat, au micro de Manuella Affejee le 19 avril 2013 pour Radio Vatican.
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Le gouvernement a posé ce problème comme un problème de droit, de droit individuel, à accorder à ceux qui ne l’avaient pas, au nom de l’égalité. Evidemment que ce n’est pas qu’un problème de droit. C’est un problème qui révèle des transformations énormes de la société, et en particulier d’une institution névralgique, la famille. Cette dimension-là a été escamotée par les pouvoirs publics, du coup, il y a une réaction qui est inévitable. Et puis, il y a en second lieu, je crois, un problème, dont le mariage homosexuel est le révélateur, qui est le sort de l’enfant dans nos sociétés. Si on a un « droit à l’enfant », ça revient à faire de l’enfant, la « chose » de ses parents. Et ça va bien au-delà des homosexuels et des couples de même sexe. C’est quelque chose qui relève du statut de l’enfant, qui est complètement contradictoire avec l’idée qu’on peut se faire d’une personne autonome. Et je crois que c’est la peur de cet asservissement de l’enfant, qui explique les réactions les plus violentes, qu’on observe autour de ce sujet, en France, actuellement.
Q- On accuse le gouvernement de ne pas avoir agi de façon démocratique. Y-a-t-il effectivement eu des entorses au processus démocratique dans cette affaire ?
R- Du point de vue de la légalité, non. On a suivi une voie parfaitement régulière, avec des débats parlementaires. De ce point de vue, il n’y a rien à dire. Mais ce que révèle cette protestation, c’est quelque chose qui va au-delà de la légalité démocratique, qui, encore une fois, a été scrupuleusement respectée. Ce qui est en cause, c’est le sentiment que les vrais enjeux de la question n’ont pas été abordés par la discussion parlementaire. C’est le problème de fond de nos démocraties : on peut respecter les formes de la manière la plus honnête, et donner l’impression au peuple qu’il n’est pas vraiment représenté dans les questions qu’ils se pose.
Q- Au-delà de cette question du mariage pour tous, c’est bien un malaise général, une violence sous-jacente que l’on perçoit, une violence qui entoure les débats sociaux et sociétaux. Que nous révèle cette violence sur la société française ?
R- La société française est, et demeure, une société profondément politisée. C’est une société qui discute de politique. Dans une société politisée comme la société française, l’énorme transformation sociale que connaissent les sociétés européennes, pour ne pas aller plus loin, provoque une sorte de demande politique qui n’est pas satisfaite par les gouvernements en place, ni par aucune, d’ailleurs, des forces politiques en présence. La réflexion, qui revient le plus souvent, chez des gens qui ne sont pas protagonistes de ce mouvement, vis-à-vis de cette loi, est très typique. Ils disent : « au fond, le gouvernement ne sait pas ce qu’il fait. Il manipule des repères extrêmement profonds de la condition humaine, sans même s’en rendre compte ». C’est cela qui donne cette ambiance de violence, qu’il ne faut pas exagérer, ce n’est pas insurrectionnel ! Mais il y a en effet un climat de violence et de ressentiment violent contre un gouvernement qui ne fait pas son travail, puisqu’en fait, on a l’impression qu’il ne sait pas ce qui se passe dans la société, et qu’il ne se rend pas compte des énormes problèmes qu’il traite, sans en mesurer l’importance.
Les responsables politiques actuels ne considèrent que deux choses : l’économie et le droit. Les hommes politiques ont oublié qu’ils sont des hommes politiques ! Il s’occupent d’une société qui ne se résume pas, ni à l’économie, ni au droit. S’ils n’en prennent pas conscience, je crois qu’on ira vers un divorce croissant des citoyens envers la scène politique, avec tous ces phénomènes de protestation plus ou moins intenses, comme celui auquel nous sommes en train d’assister.