Article de Philippe Petit publié par Marianne le 13 septembre 2013.
Après le « slow food », ce mouvement de défense – né en Italie –, de la saine nourriture des circuits courts, et de la production sous surveillance, et le succès honorable de la revue XXI, consacrée à un journalisme de longue haleine, qui prend son temps et fait la guerre aux petits papiers, il ne faut pas s’étonner de voir surgir d’autres revues dont le mot d’ordre est de ralentir. Ainsi de Au fait, dont le numéro 3 vient de paraître et dont nous conseillons hardiment la lecture, qui se qualifie de « Media lent », et publie ce mois-ci un entretien salutaire avec Marcel Gauchet réalisé par Bernard Poulet.
Cet entretien remet en quelque sorte les pendules à l’heure sur cet art de « l’impuissance fabriquée », qui caractérise la situation politique actuelle, qui combine une crise profonde de la démocratie en Europe avec une crise de la construction européenne. Il nous permet de mieux appréhender ce que l’économiste Robert Salais appelle de son côté « Le viol d’Europe » – enquête sur la disparition d’une idée – qui accompagne la rentrée des essais aux PUF.
L’Europe en effet aujourd’hui empêche les citoyens d’agir et les gouvernements de gouverner. « Par un mélange de droit et de régulation économique », elle met en place une espace de gouvernance totalement inféodé au délire de l’abstraction et à la loi des nombres. Le programme de la commission européenne est un programme chiffré qui ne jure que par les indicateurs de croissance. L’Europe est « une machine à vider la volonté politique de toute substance ». Ce qui fait dire à Marcel Gauchet que si l’intention d’origine était bonne, les instruments mis en oeuvre aujourd’hui sont « déplorables ». Les institutions de l’Europe sont « une rêverie de technocrate ». Et d’ajouter cette phrase qui fait frémir : « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen » ?
Personne. L’idée que l’Europe serait une coquille vide n’est pas nouvelle. Mais elle prend sous la plume de Gauchet l’allure d’un avertissement. « A poursuivre sur la lancée actuelle, à persévérer dans cette prétendue « union politique » sans politique, qui défait la capacité de choix de ses composantes sans en créer une autre à la place, on s’enfonce dans un trou noir catastrophique » déclare-t-il. On reconnaît ici le franc parler de l’auteur de La démocratie contre elle-même. Mais le trou noir ne désigne pas seulement les dimensions absentes de la vie collective. Il désigne le paradoxe actuel de l’état de notre démocratie qui conjugue habilement « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous ».
Conclusion de l’auteur ? Le déclin du politique étant plus sensible en France qu’ailleurs, il existe une seule solution pour s’en sortir : « une sortie par le haut ». De quoi réveiller les pauvres endormis que nous sommes.
Au fait, 7 euros 90, Septembre 2013. Dans tous les kiosques !