Entretien inédit avec Marcel Gauchet publié dans Causeur n°29, Novembre 2010
(Causeur) On ne sait plus si c’est une insulte ou un compliment, si ça vient d’en haut ou d’en bas. En tout cas, ça fait la « une » des magazines. Les populistes sont partout : à Causeur bien sûr mais aussi au Monde ou à Canal +. Et ce n’est pas nous qui le disons mais les Inrocks, c’est dire si c’est sérieux. Alors, nous avions bien une définition à vous proposer, mais elle est un peu étroite pour accueillir tout ce beau monde. Jusque-là, on croyait que le populisme consistait flatter les bas instincts du peuple pour mieux lui ravir le pouvoir.
(Marcel Gauchet) Opératoirement, ça se passe souvent comme ça. Mais si on s’en tient là, on ne comprend rien au phénomène actuel, qui se caractérise par une progression simultanée du populisme et de sa dénonciation. Sans compter qu’il s’agit d’une notion difficile à appréhender, puisqu’elle n’a pas de contraire.
(Causeur) Alors, repartons de zéro : c’est quoi, le populisme ?
(Marcel Gauchet) Dans ce monde formidable où les esprits sont tellement ouverts, on ne sait plus où on est. Commençons donc par le plus simple : basiquement, le populisme est un mouvement anti-élites.
(Causeur) D’accord mais quand les élites sont contre les élites, on fait quoi ? Sans doute est-il temps de rechercher une signification cachée derrière les mots.
(Marcel Gauchet) Essayons. Le populisme est d’abord une rhétorique politique qui consiste à dénoncer chez l’autre des travers dans lesquels on tombe allègrement soi-même.
Avant d’aller plus loin, il faut donner ici une définition de la démocratie. Aussi brutale soit-elle, je n’en vois pas de meilleure que celle-ci : la démocratie, c’est la concurrence des démagogies ! Immense progrès quand même par rapport au monopole de la démagogie qu’incarnait le totalitarisme. Quand la démagogie est tempérée par la concurrence, elle ouvre des espaces où on peut apercevoir un peu de réalité.
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Propos recueillis par Elisabeth Lévy et Basile de Koch