Entretien dans Réforme : « La spiritualité s’est individualisée »

En complément de l’entretien qu’il a accordé à Réforme sur la situation des sociétés développées à l’heure des crises, le philosophe Marcel Gauchet analyse la question des techniques, du rôle des religions et de la place de l’intellectuel aujourd’hui.

Comme en 1900, ne sommes-nous pas aveuglés par la puissance des techniques ?
Le moment 1900 est dominé par la deuxième révolution industrielle, dont le moteur électrique est l’emblème. Nous sommes sous le choc d’une troisième révolution industrielle dont les nouvelles technologies de l’information sont la face la plus spectaculaire. Mais que l’on pense que la technique nous permette de gagner la guerre rapidement ou qu’elle apporte toutes les solutions à nos problèmes, c’est de la même illusion qu’il s’agit.
L’actuelle perte des repères  conduit le plus grand nombre à oublier que la technique n’est qu’un instrument. Dans ce contexte, surgit un sentiment de toute puissance inédit. Ce ne sont plus des individus qui s’affirment comme indestructibles- plus personne ne fantasme sur le savant fou qui veut et peut détruire la planète.- La toute puissance est désormais portée par l’idée d’un fonctionnement automatique du monde. Beaucoup de gens pensent aujourd’hui que la marche automatique et indépendante des hommes va résoudre tous les problèmes. Or, les écologistes nous le montrent : si nous laissons aller nos sociétés en pilotage automatique, nous sommes tous morts. Mais la mort, c’est ce que nos sociétés ont le plus de mal à penser.

L’économie a-t-elle remplacé la politique?
Non. Elle était déjà un rouage essentiel du débat en 1900. Mais là encore, on constate que plus personne ne remet en cause le capitalisme. On conteste ses conséquences, les résultats qu’il produit, mais dans le principe même, personne ne présente  une idée qu’il faut mettre à la place.

Quelle place tiennent les religions ?
Je pense qu’il faut distinguer la situation des pays occidentaux et celle du 
monde arabo-musulman. En Europe, la spiritualité s’est individualisée, elle 
ne constitue plus une force collective. Avec les fondamentalismes, le 
religieux devient une politique de substitution dans des sociétés 
profondément ébranlées par l’occidentalisation qu’elles subissent et qui les 
désorientent.

Comment l’intellectuel et les citoyens qui refusent ce modèle peuvent-ils trouver leur place dans ce contexte?
C’est difficile. Ceux qui  refusent de céder à cette pratique sont nombreux à se sentir exilés, mais ils sont dispersés. Les gens ne sont pas heureux dans le monde où nous sommes. Cette société de confort, de distraction- pour ceux qui réussissent- ne répond pas au besoin profond de l’humanité et c’est pourquoi les gens vivent la frustration, l’inquiétude et la conviction que
 cela ne peut pas durer. Il faut lutter avec modestie, tenter d’éclairer les autres et par ce biais, dénouer les angoisses, donner une orientation, contre le sentiment de précarité de l’univers qui nous assaille.

Propos recueillis par Frédérick Casadesus
Entretien publié sur le site du journal en ligne de Réforme

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